La transformation digitale est omniprésente.
Il s’agit un phénomène majeur dont l’impact est au moins comparable à celui des grandes inventions à l’origine des révolutions industrielles du 19ème et du 20ème siècles. Sa puissance, qui plus est, est telle qu’elle annonce pour demain et après-demain des ruptures encore plus considérables, autour des fameux NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et Cognitivisme), dont il est à peine possible d’imaginer les bénéfices ou les conséquences.
Mais est-elle réellement le facteur déterminant de la transformation du monde ? A trop la considérer, ne passe-t-on pas à côté des tendances ou des ruptures qui vont impacter l’entreprise ?
Le commencement de la révolution numérique est situé au début des années 1970, avec l’apparition des premiers calculateurs, rapidement suivie au cours des années 1980 par la généralisation des ordinateurs personnels, puis par le développement d’Internet au cours des années 1990, et la prolifération des smartphones au cours des années 2000.
Nous disposons donc aujourd’hui d’une cinquantaine d’années d’observation rétrospective, qui nous permet de mieux situer la place exacte de la technologie dans l’économie et la société.
Soulignons en premier peu l’extraordinaire bon en avant que la croissance des 50 dernières années a permis, comme en témoignent les indicateurs de la Banque Mondiale (Cf. Michel Camdessus, Vers le monde de 2050, FAYARD, 2017).
50 ans de progrès
- Sortie de la pauvreté pour l’immense majorité de l’humanité, de 52% en 1981 à moins de 10% en 2018.
- Longévité évoluant de 52 ans en 1960 à 71 ans en 2015.
- Taux de scolarisation dans le secondaire passé de 43 % en 1970 à 68 % en 2009.
- Croissance de la classe moyenne passée de 27% en 1990 à 51% en 2015.
- Part des grandes puissances économiques occidentales, le G7, dans la production mondiale de 57% en 1960, à 32% en 2015.
Les facteurs explicatifs de ces progrès extraordinaires sont nombreux : la décolonisation, l’éducation, l’ouverture du commerce international, la libération des capitaux, la croissance des populations, la technologie, le prix des matières premières etc.
La technologie numérique a donc fait son apparition au moment où se propageait un mouvement de libéralisation tant politique que commercial et financier. Ces ruptures se sont combinées et leurs effets se sont nourris les uns les autres dans un cercle de progrès à caractère systémique. La révolution numérique a eu un effet s’autant plus puissant qu’elle s’est appliquée à un monde en mouvement, plus ouvert, mieux éduqué, plus nombreux. Reste que son impact sur la productivité reste très discuté.
Qu’en sera-t-il demain ?
Les grands facteurs de croissance des années passées trouvent leurs limites.
Nous sommes confrontés à un changement climatique très menaçant alors que certaines matières premières sont en voie d’épuisement.
Les progrès de la technologie sont tels qu’ils bouleversent la vision que nous pouvons avoir de la place de l’humanité dans l’univers.
L’évolution démographique et la croissance économique des pays émergents recomposent le monde, qui change de mains. Ceci remet en cause l’universalité du modèle occidental.
Les classes moyennes des pays en développement constituent le réservoir de la consommation de masse, dans une approche de plus en plus multiculturelle.
Les institutions et la démocratie elle-même sont bousculés par ces évolutions qui imposent un fonctionnement plus horizontal et réticulaire
Nous voici donc entrés dans une époque VUCA (volatile, incertaine, complexe, ambiguë), qui caractérise les périodes de transition, en annonce l’avènement d’une nouvelle étape dans l’histoire de l’humanité.
Cette « grande transition » est le fruit de plusieurs natures de ruptures, parfois convergentes parfois en tension.
Ces transitions s’entremêlent, en additionnant leurs effets ou en les complexifiant.
Le développement des énergies renouvelables combiné à l’évolution démographique est de nature à modifier considérablement les équilibres géopolitiques, en redistribuant les sources de revenus liées à l’énergie.
L’économie collaborative, qui met en relation « les multitudes » instantanément et partout n’est pas seulement le produit de la révolution numérique. Elle répond aussi à un besoin de nature plus anthropologique d’ouverture, de partage, de proximité.
Comme y répond le développement de la distribution alimentaire en circuit court, qui combine des préoccupations consuméristes, environnementales tout en s’appuyant sur le fonctionnement des réseaux sociaux.
Pourquoi l’entreprise doit-elle s’intéresser à ces grandes tendances ?
Parce qu’elles modifient profondément son environnement, alors que les dimensions économiques, sociales, culturelles ou environnementales sont de plus en plus imbriquées.
Et parce que l’entreprise, comme les autres organisations, et comme les institutions, est-elle-même en transition. Son modèle hérité de la révolution industrielle, conçue pour pouvoir produire de façon massive au meilleur coût, doit s’adapter à fonctionnement de plus en plus horizontal et collaboratif, et à une approche de plus en plus personnalisée.
La transition de l’entreprise est née à la révolution numérique mais aussi à la globalisation des marchés, à leur financiarisation, qui a créé un terrain de jeu immense et très compétitif, aux enjeux environnementaux, et aux progrès de l’éducation.
L’exigence de transformation est complexe car il s’agit dans un tel contexte, de concilier ouverture, innovation et confiance d’une part, pression des actionnaires, acteurs dominants, ultra-compétitivité des marchés, et besoin de standardisation à l’échelle mondiale, d’autre part.
La compréhension des grandes ruptures et de leurs impacts, doit permettre aux dirigeants de prendre un temps d’avance dans la resynchronisation de leur organisation avec son environnement.